Allongée sur le lit, je croisais les bras derrière ma tête, observant longuement le plafond. Vous savez, la scène parfaite de l'acteur en pleine réflexion au milieu d'un film, où il se lance dans une longue et profonde rétrospection de sa vie, où il a l'air de penser qu'il avait tout foiré, et que d'un coup il se lève et sort en courant de chez lui pour retrouver sa bien aimée et lui dire qu'il n'a été qu'un pauvre con et qu'il voulait se racheter ? Et bien, j'en étais à ce point là, où je fixais longuement le plafond, en me disant que j'aurais jamais dû jouer les abrutis de caïds, que j'aurais jamais dû la laisser là-bas, toute seule là haut dans sa favela. Sauf que je ne pouvais pas me relever, et courir la retrouver comme dans ces films et autres télénovelas à l'eau de rose où tout se finit toujours bien malgré quelques drames passagers. Non, là, je pouvais courir où je voulais, je ne retrouverais pas ma garota de Ipanema, aussi gracieuse que la chanson le racontait.
Et pourtant, je décidais de me lever quand même.
Mais ce n'est pas quelconque dulcinée que j'allais retrouver, mais tout simplement le refuge le plus simple vers lequel un homme se dirige en cas de faiblesse ou de profonde mélancolie; l'alcool. J'étais humaine et ne faisais guère exception; j'avais comme beaucoup de jeunes de ma génération pris cette fâcheuse habitude de développer inexplicablement un foie pouvant faire face à toute épreuve, ou à tout degré devrais-je dire. Je savais accuser les coups, aussi bien que l'alcool, mais je ne m'en vantais sûrement pas. Car le problème, quand on tient bien l'alcool, c'est qu'on oublie ses limites, et qu'on ne prend pas peur de les dépasser. Je savais ce que je disais; j'avais vécu bien assez de gueules de bois pour savoir que quand on dit "plus jamais de cuite", le lendemain on s'en reprend une pire dans la gueule. Et ce soir, peut-être bien que j'en prendrais une.
Quand je sortais le soir à Rio, je prenais le soin de me faire belle, puisque rentrer dans les meilleurs bars et boîtes de la ville demandait un certain niveau vestimentaire. Et puis, il m'avait été toujours agréable de sentir qu'on me trouvait belle, sans forcément vouloir en jouer. A vrai dire, depuis Vic, je n'avais plus vraiment cherché à séduire, malgré que j''aimais me sentir gata brasileira, latina sans complexes dans ses rondeurs dorées par le soleil. Mais ce soir, je n'avais sûrement pas envie de plaire; et puis, je doutais qu'on n'accepte pas de me faire rentrer dans la seule taverne d'Underland pour une tenue peu appropriée. Aussi, j'enfilais tout simplement un jean taille basse et un débardeur noir, assez court pour que le tatouage barrant le bas de mon ventre soit en partie visible. Par-dessus, j'enfilais un sweatshirt zippé à capuche, dans les tons kakis. Converses noires aux pieds, je m'en allais en direction de la taverne des fameux trois frères escrocs.
Lorsque j'entrais dans la taverne, j'haussais un sourcil, en jaugeant les buveurs du soir. Pas très glorieux, à vrai dire. Je pensais pas que lorsque l'on disait taverne, c'était vraiment taverne, avec tous les soulards et autres charmantes personnalités qui allaient avec. Ce n'était pas du tout une ambiance qui me plaisait, sale et machiste, alors que les hommes s'entouraient de femmes sombrant dans la déprave. Non, c'était loin d'être ma tasse de thé, moi qui menait des troupes masculines d'une poigne de fer. Et puis, disons que je devais être d'une tranche d'âge assez peu élevée pour une personne fréquentant une taverne de nuit, à une heure si tardive. Pourtant, mon regard s'arrêta sur une jeune fille qui venait d'asséner un violent coup à un homme, brisant sur son crâne la bouteille avec laquelle elle l'avait cognée. La scène me tira un sourire, alors qu'elle retourna s'assoir au bar, avalant un shot d'alcool, d'une traite.
Elle semblait jeune, je ne lui donnais pas plus âgée que moi, non. Peut-être à peine la vingtaine, je ne savais pas exactement. Et j'avais appris à ne pas me fier aux apparences; plus jeune, on me prenait pour plus femme que jeune fille. Il avait été toujours difficile de trouver l'exactitude de mon âge. Aussi, peut-être que je me trompais alors que cette fille, qui m'inspirait étrangement un caractère de pile électrique sans lui avoir même adressé la parole - peut-être ce que m'inspirait l'étrange couleur de ses cheveux -, me semblait plus jeune que moi. Je décidais de m'assoir près d'elle, me hissant sans problème sur une chaise haute. Le barman vint à ma rencontre.
- Caipirinha ?
Un sourire se dessina sur les lèvres de celui-ci; ce ne devait pas être le cocktail le plus commandé du coin.
- Je vais voir s'il me reste des citrons.
Bien sûr. J'imagine que les fruits ne devaient pas être ce qu'il y avait de plus courant dans un trou sous la terre. Et pourtant, après quelques instants qu'il avait dû passer à couper le citron et à le broyer avec le sucre canne dans la cachaça, il revint avec un verre. J'affichais un sourire, et le remerciais. J'en sirotais une première gorgée, et eu un frisson de plaisir. Revivre mon pays par l'alcool... c'était magique. J'appréciais l'instant, vidant le verre de moitié, avant d'élever la voix, à l'attention de la demoiselle assise à mes côtés, mon fort accent brésilien claquant dans l'air; je n'arrivais toujours pas à me détacher de ce roulement de R.
- Je commence toujours ma descente par une caipi. C'est fort, et c'est bon. Le citron fait les trois quarts du truc. Tu sais et tu sens que c'est fort, mais ça coule tellement bien que tu te rends pas compte de ce que t'avales. Crois moi, aussi efficace qu'un shot... sauf qu'en plus, on prend le temps d'apprécier le goût.
J'avalais la dernière goutte de ma caipirinha.
- Mais je n'ai rien contre les shots non plus.
Fis-je, faisant un clin d'oeil au barman en lui indiquant un deux avec mes doigts. Il vint poser immédiatement deux petits verres devant chacune de nous.
- Evite de me frapper avec si tu n'y vois pas d'inconvénient.. Je saisissais le mien, et le levais en l'air, trinquant seule. Saude, comme on dit chez moi.
Je l'avalais cul-sec. Elle avait le choix de l'accepter ou non, je m'en fichais un peu; j'avais tout simplement eu un élan de sympathie pour cette jeune femme en cette nuit où nous avions toutes deux l'air bien solitaire.
[Désoulééée pour le temps de réponse]